Il est venu pour un contrat de deux ans comme directeur technique à l’EST. Tombé amoureux de la Tunisie, il n’est jamais reparti et voilà maintenant 12 ans qu’il exerce dans notre championnat. Nous l’avons rencontré et en avons profité pour papoter un peu… de football bien entendu. Entretien.
Pour commencer, comment allez-vous ?
Je me porte très bien merci. Je réside toujours en Tunisie où je suis installé avec ma famille à la Marsa. J’ai eu récemment quelques touches avec des clubs tunisiens, mais ça n’a pas abouti. Je ne suis pas pressé pour reprendre du service. Si je trouve un bon projet sportif, je suis toujours preneur, à condition que les dirigeants mettent les moyens logistiques et financiers nécessaires pour pouvoir le mettre en œuvre.
Attaquons l’actualité brûlante. Que pensez-vous , en tant que technicien , de toute cette affaire de la finale de la Ligue des champions ente l’EST et le Wydad de Casablanca, notamment en ce qui concerne les derniers rebondissements ?
Sur le plan footballistique, je pense que déjà au niveau de l’image, c’est quelque chose d’inédit et de très grave. C’est quand même une finale de Champions League. Mais qui a tort et qui a raison, et cela n’engage que ma personne, l’Espérance de Tunis est pour moi championne d’Afrique. L’EST menait par un but à zéro. La Var ne marche pas, point final. Le Wydad avait été mené au score par un but à zéro et avait le temps pour revenir dans le match. Le Wydad a refusé de continuer à jouer. Il n’avait qu’à rentrer chez lui et le match est fini. Il n’y avait pas besoin d’attendre deux mois. Il fallait statuer une semaine après et clore le dossier, ce qui aurait été mieux pour tout le monde. Au niveau de l’image de marque du football africain et des deux finalistes, je n’arrive pas à comprendre que, même pour les grands clubs comme le Wydad de Casablanca, l’on montre un spectacle désolant dans une finale de Ligue des champions, ce qui est tout de même le plus haut niveau pour le football continental. Par ailleurs, ce qui s’est passé est catastrophique pour l’image du football africain. Je pense qu’on aurait mieux fait de présenter une image un peu plus « clean ». Le football africain ne mérite pas cela. Je ne comprends pas cette manière de faire. Se tourner vers le TAS, c’est comme se tourner vers la justice et c’est logique. Mais ce qui s’est passé autour de cette finale de la Ligue des champions africaine est purement et simplement catastrophique pour le football en général.
La balle est renvoyée à la CAF qui doit statuer cette semaine. Quand on sait que la nouvelle édition de la Champions League démarre dans à peine une dizaine de jours, le temps presse et ça urge pour que la CAF ferme ce dossier…
Oui, ça urge. D’ailleurs, je ne vois pas comment le match peut être rejoué, indépendamment du verdict du TAS. On ne peut pas recommencer le match dans la mesure où dans chaque équipe, on n’aura pas le même entraîneur, ni les mêmes joueurs. C’est pourquoi, je dis que ça ne veut rien dire de faire rejouer le match. Après, je trouve que l’attente se fait un peu longue. La CAF doit faire une réunion exceptionnelle en urgence et régler le problème pas plus tard qu’une semaine.
La nouvelle saison démarrera à la fin de ce mois. Qu’attendez-vous de ce nouvel exercice pour un championnat tunisien qui bat déjà de l’aile depuis un certain temps déjà ?
Le football tunisien est en train de prendre une mauvaise pente. L’équipe nationale tunisienne est composée essentiellement d’expatriés. D’ores et déjà, les 30 meilleurs joueurs tunisiens n’évoluent pas pour la plupart sur le sol tunisien. Au fait, le problème est encore plus grave. Les bons joueurs qui font le championnat tunisien sont en train de partir en Arabie Saoudite et un peu partout ailleurs. Le hic est que bon nombre de joueurs partent même dans des équipes qui évoluent en deuxième division du championnat saoudien. Ils sont 20 à 25 joueurs déjà partis. Le niveau global du championnat doit prendre un sacré coup quand 50 à 60 meilleurs de ses éléments le quittent.
La troisième couche, c’est que les bons entraîneurs comme Skander Kasri ne sont plus là non plus et sont en train de partir à leur tour. Déjà, les grands entraîneurs n’exercent plus dans le championnat de Tunisie, exception faite de Faouzi Benzarti qui va et revient. Il y a de jeunes entraîneurs qui arrivent. Ils entraînent en ce moment en Ligue 1 alors qu’ils ont plutôt le niveau de la Ligue 2. Ils sont en train de saisir leur chance et c’est légitime tant que l’occasion se présente à eux. Mais tout cela donne un football dont la qualité offensive est moins bonne qu’avant : de grands clubs essayent de faire l’animation offensive face à des équipes qui jouent le bloc bas et qui opèrent par des contres.
Je ne sais pas comment on peut remédier à tout cela quand on sait que l’argent est le nerf de la guerre. Si les bons entraîneurs et les meilleurs joueurs partent en Arabie Saoudite et ailleurs, c’est parce qu’il n’y a pas d’argent dans le football tunisien. Je sais de quoi je parle car j’ai eu deux à trois contacts la semaine dernière avec des clubs tunisiens, mais je n’ai pas conclu car c’est devenu très compliqué au niveau des salaires. C’est pareil pour les salaires des joueurs. Le critère du recrutement des joueurs et des entraîneurs ce n’est plus la qualité, mais le moins-disant.
Dans ce contexte, l’arrivée des joueurs maghrébins ne doit pas arranger les choses…
Je pense que oui, mais seulement dans le contexte actuel. Car ce ne sont pas forcément les meilleurs joueurs qui débarqueront, mais plutôt ceux qui ont un niveau moyen. Ces joueurs prendront la place des jeunes et du coup, la relève sera encore plus difficile à assurer à moyen terme.
Venons à présent à l’équipe de Tunisie et à sa participation à la CAN. Quel bilan faites-vous de l’équipe de Tunisie et d’Alain Giresse lors de la CAN d’Egypte ?
Sincèrement, on ne peut pas dire qu’Alain Giresse a réussi, ni qu’il a échoué non plus. Son bilan est plutôt mitigé. Au niveau de la qualité du jeu, l’équipe de Tunisie a échoué, notamment lors du premier tour. Quant au résultat final, on ne peut pas dire que Giresse a échoué puisqu’il a atteint la demi-finale et la qualification à la finale s’est jouée sur des détails. Peut-être qu’avec le temps, Alain Giresse gèrera mieux la sélection et fera ce qu’on attend de lui : allier manière et résultat.
Je pense qu’avec tout l’argent récolté suite à la participation de l’équipe de Tunisie au Mondial de Russie et à la CAN d’Egypte, la Fédération tunisienne de football a un joli pactole pour attaquer une restructuration profonde du football tunisien. Il est temps !